Article dans la maison écologique septembre 2003
Ayant une pratique de généraliste de la construction écologique, je cherchai pour mes
clients une solution alternative aux carrelages et revêtements industriels. J’avais aussi
besoin de réaliser des formes organiques pour proposer un nouveau design de salles de
bains. C’est ainsi que naturellement j’ai rencontré le tadelakt, cette technique de
revêtement mural que l’on apparente à la tradition des stucs, très pratiquée autour de la
Méditerranée depuis des siècles.
On trouve traditionnellement le tadelakt sur les murs des hammams et des palais
marocains.
En plus de ses qualités d’étanchéité à l’eau et de sa porosité à l’air, il est recherché pour la
douceur de son touché et la profondeur de sa matière qui le font ressembler au marbre.
Cet enduit s’adapte à toutes les formes et offre la dureté et la durabilité de la pierre
calcaire.
Il est ambitieux de penser que l’on pourra égaler le savoir faire ancestral des artisans
marocains. Ceux-ci peuvent se permettre de réaliser de grandes surfaces et des ouvrages
complexes comme des baignoires, piscines, fontaines ou plafonds.
Mais rien ne vous empêche de faire votre propre expérience et je vous invite, en vous
essayant d’abord sur de petites surfaces, à aborder cette alchimie : à partir de matériaux
simples, obtenir un produit d’une grande richesse. Le résultat évoluera avec votre habileté
et sera le reflet de votre persévérance. S’approprier la beauté, privilège et secret des
puissants, c’est un peu leur enlever leur pouvoir.
Au Maroc, la chaux de Marrakech est une chaux très rustique contenant des impuretés elle
donne le style traditionnel. Il vous faudra faire avec ce dont vous disposez sur place, mais
en respectant quelques règles et ingrédients fondamentaux :
Utiliser de la chaux aérienne en poudre, de la poudre de marbre moyenne (0.6 mm à 1.2
mm), des terres colorées ou des colorants compatibles avec la chaux, du savon liquide à
base d’huile de lin (ou savon noir) et l’outil magique : un galet au grain très fin coupé et poli
sur une face. On peut avoir un gros galet de 10 cm pour les grandes surfaces planes et un
petit pour les coins ou les arrondis.
Pour étaler l’enduit il faut une truelle fine et une spatule triangulaire faite dans un couvercle
de plastique souple.
On compte environ 5 kg de mélanges de poudres par m² d’enduit fini, l’achat de ces
matériaux ne vous ruinera pas.
Réaliser 0.5 m² de tadelakt par jour est une moyenne très raisonnable quand on commence.
Les marocains travaillent à plusieurs pour faire des grandes surfaces.
Attention : La chaux est agressive pour la peau et les muqueuses, il est indispensable de
se protéger les mains, les yeux et le les voies respiratoires pour faire les mélanges. Pour
l’application porter des gants est préférable et se couper les ongles pour éviter les accros.
- Préparation du support :
La qualité du support est fondamentale. On ne peut réaliser le tadelakt que sur un fond
ouvert, c’est à dire qui laisse passer l’eau et l’air : briques, pierres calcaires, mur de terre.
Mais pas les plaques de plâtres ou de ciment
On réalisera dans les règles de l’art en partant d’un gobetis, un corps d’enduit avec de la
chaux (hydraulique ou aérienne) ou un mélange chaux / ciment et pour l’enduit de finition
avec du sable de carrière de 0-2 mm tamisé à 10-12. Puis attendre 2 semaines que
l’enduit durcisse.
Le support sera bien humidifié à l’éponge ou au pulvérisateur les jours précédents la
réalisation du tadelakt, celui-ci prendra moins vite et sera plus facile à travailler.
- Préparation du mélange :
Les proportions sont une moyenne chacun les adaptera suivant son expérience. Jean Claude
Misset fait 4 à 7 couches successives en utilisant uniquement de la chaux en pâte et
comme charge le pigment, mais personnellement j’utilise ce mélange :
Dans un seau 1 volume de poudre de marbre et 2 volumes de chaux aérienne ou 1 volume
et demi de chaux aérienne en pâte, ajoutez de l’eau pour faire une pâte comme de la
crème chantilly. Mélangez au malaxeur électrique et laissez reposer 1 à 2 jours. C’est votre
pâte de base que vous pourrez garder des mois si vous la recouvrez d’un peu d’eau.
La veille de la réalisation, préparez votre couleur en mélangeant la terre colorée, maximum
15 % du volume de poudre. Ça change d’une façon importante la proportion de charge,
c’est un des paramètres important, surtout suivant qu’on utilise une terre ou un oxyde les
résultats (en dehors de la couleur) changent énormément sur la vitesse de prise et le rendu
final. Si on utilise un oxyde il est préférable de préparer d’abord une pâte de pigment en le
mélangeant à de l’eau et une goutte d’alcool et de savon pour aider à la dispersion.
Essayez sur un mur le résultat la teinte en couche fine l’enduit s’éclaircit en séchant. Bien
refermez les pots, en laissant un centimètre d’eau sur la pâte et notez vos mélanges.
- Application :
Attention, les durées sont à prendre avec beaucoup de prudence, elles dépendent de
l’humidité du support, de l’air, de la température et de l’épaisseur.
On peut commencer par faire une couche d’accroche à la lisseuse en serrant sur le fond et
avant que celle-ci soit sèche étalez à l’aide de la truelle une couche de 4 à 5 mm d’enduit
sans chercher à faire une couche régulière, on obtient ainsi un effet bosselé. Laissez sécher
entre une à trois heures en testant avec le doigt qui ne doit pas coller.
Effectuer le premier resserrage avec la spatule en plastique, en appuyant modérément on
donne la forme de l’enduit, attention de ne pas accrocher le fond, dans ce cas rajouter de la
pâte.
Quelques heures plus tard (de 2 à 18 ) l’enduit aura séché et un peu craquelé.
En arabe tadelakt veut dire « caressé » ou « massé », on va donc caresser l’enduit avec le
galet et le masser avec le savon noir dilué dans de l’eau que l’on aura passé régulièrement
avec un pinceau large et souple. Le passage du galet se fait en appuyant doucement et en
formant des petits cercles de quelques centimètres de diamètre. L’enduit doit faire un petit
bruit de frottement, rajouter du savon si ça accroche et essuyer après pour ne pas faire de
trace de savon. Sans chercher encore à avoir un aspect très lisse il vous faut resserrer
l’enduit sur toute la surface aujourd’hui même, en passant la spatule en plastique pour
enlever l’excédant de savon.
Maintenant vous avez environ 5 jours pour effectuer le polissage final, en pensant à
toujours maintenir la surface de l’enduit humide avec du savon noir liquide très dilué. Les
craquelures qui apparaissent sont normales, elles seront rebouchées par le savon et
resserrées par le passage du galet.
C’est en caressant la surface de l’enduit que vont apparaître le brillant et la finesse du
tadelakt, soyez patient et persévérant, vous pouvez vous y mettre à plusieurs.
Pendant ce temps la chaux au contact de l’air va retrouver sa structure initiale, c’est le
principe de la carbonatation. En quelques semaines la chaux redevient la pierre calcaire
dont on l’a extraite.
- Entretien :
Pour maintenir son aspect brillant et garantir son étanchéité il faudra tous les 6 mois
repasser du savon noir liquide. C’est le seul entretien nécessaire.
Toutes les couleurs naturelles sont possibles, mais les couleurs claires sont plus sensibles
aux traces de savon. Les craquelures que l’on peut rechercher pour leur effet décoratif sont
plus visibles avec des teintes foncées.
Attention à maintenir une bonne humidité dans le local, fermer les fenêtres et éviter de
travailler en dessous de 10/15 ° C.
Il arrive qu’en polissant l’enduit se détache du fond, c’est sûrement que le fond n’était pas
assez humide ou que l’on a trop appuyé avec le galet. Il faut aussitôt s‘arrêter de frotter et
reboucher le trou avec de la pâte fraîche et recommencer le processus. Si le décrochage est
trop important il faut recommencer tout le panneau…
Quand on n’a pas un fond respirant (plaque de plâtre, enduit ciment) on ne peut pas faire
du vrai tadelakt mais un enduit fin poncé au galet. On est plus dans une démarche de
produits naturels et il faudra faire des concessions à la chimie. Pour cela il faut bloquer et
égaliser le fond avec une peinture à l’huile et faire une sous couche d’accroche avec de la
colle à carrelage par exemple ou un mélange de chaux et de sable fin et d’un produit de
fixation de mortier. Au mélange à base de chaux il faut rajouter un liant acrylique, de la
caséine ou des jaunes d’oeufs et quelques gouttes de Typol. Pensez à garder toujours un
pot de mélange recouvert d’eau, il vous servira à réparer un coup, pour cela il faut bien
humidifier le support et passer en 2 couches de l’enduit, et reprendre les étapes. La
réparation restera toujours visible. Elle servira aussi à reboucher des fissures dues au
mouvement du bâti.
Il faut reconnaître que le tadelakt n’est pas aussi solide que du carrelage et mieux vaut le
réserver à un usage décoratif et protégé.
En plus de servir d’enduit mural on peut utiliser le tadelakt sur des formes les plus
imaginatives.
Vous pouvez aussi essayez de passer plusieurs couches de couleurs différentes, il
apparaitra un effet nuagé.
On peut graver l’enduit et définir ainsi des parties mates ou remplir les parties évidées
d’un enduit d’une autre couleur pour insérer des motifs. Ce sont toutes les techniques des
stucs qui vous reste à explorer.
Le tadelakt de part son exigence nous permet de réfléchir à la valeur des savoirs faire de
l’artisanat face aux produits industriels tout prêt. L’industrie nous vole notre histoire, celle de l’expérience personnelle et de la transmission des savoirs.